PIERRE FRECHOU

À la fraîche

Il est de ceux qui ne filment pas simplement des paysages, mais des sensations.

Depuis plus de dix ans, Pierre Frechou trace sa route entre océan et montagne, caméra à l’épaule et regard affûté.

Vidéaste et directeur de la photographie français originaire du Pays basque, il se spécialise dans les films d’aventure liés à la montagne et au surf.

Réalisateur singulier, il capte l’essence d’un monde où la nature dicte le tempo et où l’humain retrouve sa juste place.

Du silence enneigé des hauteurs aux embruns salés des spots de surf les plus isolés, ses images racontent bien plus que du sport : ils parlent d'engagement, de liberté, de poésie.

 

Nous avons croisé Pierre pour la 1ère fois en 2018 sur les premières du film Shaka.

Depuis, nous avons projeté une dizaine de films dans lesquels il a eu un forte implication : Qivitoq, We The Surfers, Feather in the Wind, Vinhamala, Hono, Wave of Change, Le Cercle, Less is More, Aurora...

Pour ce nouveau Focus, Pierre revient sur son univers : les images, les voyages, les rencontres, la musique et un certain art de vivre.

 

Bonne lecture !

- Bonjour Pierre,

Te souviens-tu de la première fois où tu as vu du surf ?

 

"La première fois que j’ai découvert le surf, j’étais en réalité davantage attiré par le bodyboard.

J’ai beaucoup grandi à Capbreton, et à cette époque, c’était vraiment le bodyboard qui m’intéressait.

Je trouvais le surf un peu répétitif, comme si c’étaient toujours les mêmes manœuvres, alors que le bodyboard me semblait plus aérien, plus créatif.

Mais les choses ont évolué grâce à ma grande sœur.

 

Elle faisait du skate et elle était aussi à fond dans l’univers du snowboard.

Je baignais dans cette culture, avec la musique, les vidéos de surf, les K7 que l'on pouvait acheter à l’époque, les magazines comme Surf Session et leurs numéros spéciaux.

Tout cet univers m’a marqué très tôt.

Finalement, c’est en grandissant que j’ai compris que ce qui me fascinait vraiment, c’était l’océan et la glisse.

Ça me faisait vibrer."

Photo Greg_Rabejac
Photo Samuel McMahon

- Quel travail artistique t’a donné envie de raconter des histoires avec des images ?

 

"J’ai grandi avec une forte inspiration venant de l’image : la vidéo, la photo… et ça a commencé avec les films de snowboard.

À l’époque, je regardais en boucle toutes ces vidéos, comme les productions Mack Dawg ou les Forum Movies.

Certaines intégraient aussi un peu de surf, mais je restais surtout fasciné par l’univers du snowboard.

Ces vidéos n’étaient pas du tout comme aujourd’hui.

Elles montraient les coulisses, les making of et les fameuses séquences chutes/crédits à la fin.

 

Et je trouvais ça incroyable : tu voyais des mecs voyager, filmer leurs potes, partager leur passion…

C’était pour moi le boulot de rêve.

Je pense que le déclic s’est fait là : d’abord par le snowboard, puis naturellement ça s’est prolongé vers l’océan."

Montrer la nature, qu’elle soit en montagne ou à l’océan, sous un angle différent.

Photo RiBLANC

- Quelle est ta culture surf ?

 

"Comme je le disais, ma culture surf vient en grande partie de ma grande sœur.

Elle m’a transmis cette inspiration musicale qui allait de pair avec l’univers de la glisse.

Je me souviens avoir usé ses CD de Sublime, au point de me faire engueuler parce qu’il fallait en prendre soin…

C’est par cette ambiance là que j’ai découvert une première approche du surf.

 

Mais, honnêtement, la vraie culture surf est venue un peu plus tard, après l’adolescence.

À ce moment-là, j’étais beaucoup plus tourné vers les sports d’hiver, surtout le snowboard.

J’ai même eu une période où j’ai complètement délaissé l’océan pour me consacrer à la montagne.

Et puis, plus tard, je suis revenu vers la mer.

C’est là que j’ai commencé à m’intéresser vraiment au surf, à comprendre ses racines et à plonger dans cette culture.

Au départ, j’étais en bodyboard – la “biscotte” comme on dit – mais ce n’est pas tout à fait le même univers que le surf, même si le terrain de jeu est identique.

Aujourd’hui je ne pratique plus le bodyboard, je suis resté sur le surf et le bodysurf.

 

Ce qui m’a beaucoup aidé aussi, ce sont les rencontres.

Les gens que j’ai croisés m’ont transmis une partie de cette culture que je ne connaissais pas.

Et il y avait les magazines, qui étaient très nombreux à l’époque.

À chaque nouvelle parution, il y avait une vraie excitation : découvrir où les surfeurs étaient partis, quelles nouvelles images ils avaient rapportées…

Et quand un numéro spécial arrivait avec une VHS ou un DVD, c’était vraiment le graal !"

Photo Samuel McMahon

- Qu’est-ce qui t’inspire dans la vie et en réalisation ?

 

"Ce qui me donne envie de continuer aujourd’hui, c’est avant tout l’envie de sublimer des images et des portraits.

Montrer la nature, qu’elle soit en montagne ou à l’océan, sous un angle différent.

On a parfois tendance à la sous-estimer, ou à la réduire à un outil de tourisme de masse.

Moi, ce que je cherche, c’est à rappeler sa beauté.

À travers des documentaires, des missions ou des expéditions, j’essaie de rester dans cet axe-là.

Si en plus le projet porte une dimension écologique, tant mieux.

Mais l’idée n’est pas forcément de faire un discours purement militant.

C’est surtout de sensibiliser par l’émotion, par la beauté des images et la puissance des histoires.

 

Et puis il y a le plaisir pur, celui de jouer avec l’image, avec la lumière, d’improviser sur le moment.

Dans ce genre de tournage, on ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre.

Ça peut être déstabilisant – la pluie, des conditions compliquées – mais c’est aussi ce qui rend l’expérience forte.

L’inconnu devient une source de créativité, et parfois les imprévus offrent les plus belles images.

C’est un mélange de passion, de découverte et de rencontres qui, encore aujourd’hui, me motive profondément."

- Y a-t-il un film que tu considères comme un tournant dans ton parcours ? 

 

"Je ne dirais pas qu’il y a eu un film précis, mais plutôt une rencontre et un projet.

C’est en 2015 que je me suis vraiment lancé à fond dans la vidéo.

La passion, elle, était là depuis mes 15 ans, avec les films de skate.

C’est venu de là : les sessions avec les copains, trouver une petite caméra, bidouiller sur l’ordinateur pour monter des images – à l’époque ce n’était pas aussi simple qu’aujourd’hui.

Mais le vrai tournant est arrivé après 4 années passées au Canada, lorsque je suis revenu au Pays basque.

 

J’ai eu la chance de rencontrer Bernard Crépel, le père de Mathieu Crépel et cofondateur de l’association Water Family (anciennement Du Flocon à la Vague).

Il m’a proposé de rejoindre l’aventure : faire des images pour l’asso, qui œuvre autour de la pédagogie de l’eau, de l’éducation et de la sensibilisation.

À l’époque, les ambassadeurs de la Water Family étaient des figures que j’admirais : Mathieu Crépel bien sûr, que je suivais déjà dans ses films de snowboard, et Damien Castera.

On s’est rencontrés sur différents événements, le courant est vite passé, et ils m’ont parlé d’un projet documentaire baptisé Odisea.

L’idée était de relier la montagne et l’océan, en prolongement de Du Flocon à la Vague.

 

Un jour, en 2016, ils m’ont proposé de partir avec eux en Patagonie chilienne.

Ils cherchaient quelqu’un d’un peu “couteau suisse”, capable de les suivre en montagne comme à l’océan.

C’était cette fameuse porte qu’on a parfois dans une vie : soit on choisit de ne pas l’ouvrir, soit on décide d’y aller.

Pour moi, il n’y avait pas de doute : c’était exactement ce que j’avais toujours voulu faire.

J’ai accepté sans hésiter.

Ce voyage a été extraordinaire, autant par la rencontre avec l’équipe que par le fait de vivre enfin de ma passion.

C’est ce projet qui a réellement ouvert la voie pour la suite de mon parcours."

- Quels sont les artistes que tu écoutes en filmant et avant/après une session ?

 

"Je suis passionné de musique depuis tout jeune.

J’ai eu la chance d’avoir une grande sœur qui écoutait énormément de sons, ce qui a vraiment façonné mes inspirations et nourri mon amour pour la musique.

J’ai grandi avec Sublime, Bloodhound Gang, IAM, NTM, Pink Floyd, Neil Young, Supertramp et même Vivaldi…

Pour moi, ce sont des classiques que tout le monde devrait écouter au moins une fois.

D’ailleurs, je continue de les écouter presque quotidiennement.

 

Cet héritage m’a gardé dans un état d’esprit curieux : je passe beaucoup de temps sur différentes plateformes à chercher de nouveaux morceaux, que ce soit pour mes montages vidéo, mes projets, ou simplement pour le plaisir.

Selon mon humeur, j’aime varier les styles.

Dans mon top personnel, il y a par exemple un morceau hip-hop qui m’a marqué via l’univers de la montagne : “Souls of Mischief” de 93'Til Infinity, entendu dans des films de snow de la marque Forum.

Beaucoup de riders doivent connaître.

Plus récemment, je me tourne vers des musiques plus ambiantes et expérimentales, parfois mêlées de classique.

Les Grandbrothers, par exemple, me transportent complètement, que ce soit en tournage ou dans des moments de contemplation, que ce soit en montagne ou face à l’océan.

Nils Frahm aussi, un compositeur incroyable qui mêle classique et expérimental, me touche profondément.

Côté rock, j’adore le son un peu underground du Brian Jonestown Massacre—découvert grâce à des films de surf ou de snow.

Et puis il y a toujours les grands classiques : The Alan Parsons Project, Neil Young, et tout ce registre rétro qui continue de m’inspirer.

L’inconnu devient une source de créativité, et parfois les imprévus offrent les plus belles images.

Photo Jerome Tanon

- Océan et montagne, as-tu besoin des deux ? 

 

"J’ai besoin des deux pour trouver mon équilibre : la montagne et l’océan.

Ce sont mes deux terrains de passion.

J’ai grandi davantage du côté de l’océan, donc c’est venu assez naturellement.

Enfant, en étant à la plage, on ne réalise pas forcément à quel point cela nourrit un attrait profond pour la suite.

C’est ce qui a développé mon envie de glisse et de découverte.

Mon grand frère par exemple, est passionné de pêche depuis tout petit, donc on avait tous, chacun à notre manière, un lien avec l’océan.

Moi, c’est la glisse qui m’a happé.

 

La montagne est arrivée un peu plus tard, avec le snowboard puis, progressivement, l’attrait pour les expéditions.

C’était un univers que je ne connaissais pas du tout, car je n’ai pas grandi avec des parents surfeurs ni montagnards.

J’y suis allé un peu à l’aveugle, avec tout ce que ça peut avoir d’excitant mais aussi d’effrayant.

Et pourtant, c’est un milieu qui continue de m’attirer, que ce soit pour la randonnée, l’escalade ou les expéditions plus extrêmes liées aux tournages et aux documentaires.

Ce mélange montagne-océan, pour moi, est une richesse incroyable.

L’océan, ce n’est pas que le surf : c’est aussi toute la biodiversité qui gravite autour, ou encore les sports dérivés – le foil, le longboard… même si j’ai laissé tomber le bodyboard.

De l’autre côté, la montagne offre une autre intensité, une autre approche.

Aujourd’hui, j’essaie de jongler entre les deux. Parfois, en période de fort tourisme, j’ai davantage envie de montagne, pour retrouver un peu de solitude et d’espace.

Mais il y a toujours un moment où l’océan me manque, et je ressens le besoin d’y retourner.

Être basé ici me permet justement de garder ce double accès, et c’est aussi pour ça que je reste."

Ce mélange montagne-océan, pour moi, est une richesse incroyable.

 - Quels ont été tes meilleurs trips ?

 

"Si je prends les choses chronologiquement, mon premier vrai trip marquant reste celui en Patagonie chilienne avec Mathieu Crépel et Damien Castera.

C’était aussi l’occasion de rencontrer Greg Rabejac, un grand nom de la photo de surf en France.

Nous avons gravi le volcan Osorno pour y passer la nuit, dans une petite grotte située juste sous le sommet.

Ce fut une nuit horrible d’un point de vue confort – tout était humide, ça gouttait sur les tentes – mais absolument incroyable humainement et professionnellement.

Je me souviens avoir très peu dormi, trop émerveillé de me dire : « je suis là, et c’est mon métier ».

Sur la partie océan, un autre moment fort a été un projet avec Oxbow à Tahiti, pour le film Hono.

C’était ma première fois là-bas et, comme tout le monde, j’ai pris une claque monumentale.

Les décors, l’énergie de la Polynésie… c’était grandiose.

Ensuite, toujours avec Oxbow, il y a eu d’autres projets, notamment aux côtés de Pierre Rollet ou de Ludovic Dulou, sur des documentaires liés au surf de gros et au foil.

J’ai eu la chance de plonger en immersion dans des disciplines que je regardais jusque-là de loin.

Il y a aussi eu ce projet au Pérou, récemment, avec le réalisateur Alex Heitler : une immersion dans la culture locale et des spots de surf magnifiques.

Côté montagne, une expérience particulièrement marquante a été le tournage du film Zabardast au Pakistan, en 2018.

C’était ma première confrontation avec la haute altitude.

Je n’avais pas encore tous les réflexes, je me sentais dans l’inconnu, même si j’étais bien entouré.

C’était un gros challenge, mais finalement j’ai adoré ça, malgré la douleur et la difficulté.

Ça m’a ouvert la voie à d’autres projets, comme au Kirghizistan avec Chronoception.

Plus récemment, il y a eu un projet au Liberia avec Arthur Bourbon, une première collaboration avec lui et une découverte passionnante de ce pays et de sa population.

Et puis, pour terminer, le dernier grand projet reste celui au Groenland avec Mathieu Crépel : un documentaire tourné en bivouac, en immersion totale.

Là-bas, on change carrément de planète : la banquise, le froid, l’immensité glacée…

Ce n’est pas juste la montagne, c’est un autre monde.

Vivre ça de l’intérieur a été une expérience absolument unique."

Ils cherchaient quelqu’un d’un peu “couteau suisse”, capable de les suivre en montagne comme à l’océan.

- Quelles sont tes actions pour la planète ?

 

"Aujourd’hui, à travers les films et les projets auxquels je participe, j’essaie de faire passer des messages.

Mon objectif n’est pas de vendre du rêve, mais de montrer la beauté de la nature et d’expliquer pourquoi il est important de la préserver.

On peut en profiter, s’en servir, mais il faut toujours la respecter.

Au quotidien, à la maison ou dans mes actions personnelles, j’essaie de faire attention à l’impact de ce que je fais.

J’ai eu la chance, adolescent et juste après, de faire des rencontres qui m’ont ouvert les yeux sur la réalité du monde.

Avant ça, je vivais dans une bulle, je mangeais du fast-food, je consommais des boissons énergétiques, et je n’avais aucune conscience écologique.

 

Aujourd’hui, je pense que c’est un cercle vertueux : on se penche sur un sujet qui nous concerne tous et on essaie, chacun à notre échelle, de faire le maximum.

Ce n’est pas toujours facile, surtout dans mon métier : certains projets de films documentaires nécessitent de prendre l’avion.

Mais il y a des alternatives.

Par exemple, cet hiver, pour un projet avec le snowboarder Thomas Delfino en Norvège, nous avons voyagé en train et en voilier.

C’était une première pour moi.

Bien sûr, ça prend plus de temps, mais ces moments d’évasion, où l’on perd la notion du temps, sont précieux.

Ils permettent de retrouver un peu de calme, comme lorsque l'on se perd en montagne et que l'on n’a plus à se soucier de l’heure ou des obligations.

Transmettre cette conscience écologique n’est pas toujours évident, car il y a beaucoup de jugements.

Chacun pense que les autres devraient faire plus ou mieux.

Mais je crois que lorsque chacun agit à son échelle, même modestement, cela déclenche un cercle vertueux qui pousse vers le mieux."

Photo Samuel McMahon

- Sur quoi travailles-tu ?

 

"En ce moment, je passe beaucoup de temps en post-production : montage, retouches… je finalise différents projets réalisés au début de l’année.

Il y a aussi un petit projet en cours avec un surfeur local, un profil vraiment intéressant avec qui le courant semble bien passer.

Je n’en dirai pas plus pour l’instant, mais c’est un projet prometteur, surtout pour ceux qui aiment les barrels.

 

Pour la saison hivernale, tout reste assez incertain.

On ne sait jamais comment les conditions vont évoluer et le contexte économique n’aide pas : le milieu outdoor connaît quelques difficultés depuis un ou deux ans.

Il faut donc savoir rebondir et s’adapter.

On croise les doigts et on continue à profiter de chaque opportunité qui se présente."

 

Merci Pierre !

Publié le Lundi 8 septembre 2025